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Ouvrage public mal planté : le REP est-il la seule voie de recours ?

Public - Droit public général
09/12/2019
Dans un arrêt rendu le 29 novembre, le Conseil d’État apporte une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel sur les ouvrages publics irrégulièrement implantés en donnant au juge le pouvoir de statuer comme juge de plein contentieux.
Dans son arrêt (CE, 29 nov. 2019, n° 410689), la Haute cour, initialement saisie d'un recours pour excès de pouvoir, enjoint la démolition d’un bâtiment, au départ provisoire, irrégulièrement implanté dans l’enceinte de l’École nationale supérieure des Beaux-arts.
 
Permis de construire accordé pour une durée provisoire
 
En 2001, le préfet de Paris avait délivré à l’État un permis de construire en vue de la réalisation de bâtiments dans les jardins de l’École des Beaux-arts. La demande de permis précisait que les locaux « avaient un caractère provisoire, durant les travaux de restructuration du site de l’école des Beaux-arts, et qu’ils étaient installés pour une durée prévisionnelle de quatre ans ».
 
Du fait de la situation des locaux, l’avis de l’architectes des bâtiments de France était requis. À ce titre, le ministre de la culture avait relevé le caractère provisoire des bâtiments. Le Conseil d’État, dans son arrêt, note également que l’avis n’a été accordé « qu’à la condition que la durée d’utilisation des bâtiments soit limitée », et en conclut que l’arrêté préfectoral « a été pris pour la réalisation de locaux provisoires, ceux-ci devant être installés pour une durée prévisionnelle de quatre ans à compter du mois de juillet 2001 ».
 
Le Conseil annule donc l’arrêt d’appel en ce qu’il avait été jugé que le permis n’avait pas été délivré pour une durée limitée. L’irrégularité est donc alléguée.
 
Juge administratif, juge de plein contentieux
 
Après avoir affirmé l’irrégularité de l’ouvrage public, le Conseil d’État, saisi d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de la décision implicite de refus de démolition, et de conclusions à fins d’injonction, devait donc juger de l’opportunité de la démolition de l’ouvrage contesté.
 

« Pour la cohérence d’ensemble du régime juridictionnel de ce type d’action », le Conseil d'État doit admettre « qu’il s’agit d’un contentieux de pleine juridiction »

Dans ses conclusions, le rapporteur public Guillaume Odinet avait expliqué que le contentieux en cause était tourné vers l’injonction, et qu’il s’agissait « moins d’un contentieux de légalité qu’un contentieux de défense, sinon d’un droit, du moins d’un intérêt - c’est-à-dire une action en démolition, que le juge civil rattache à une action en responsabilité ou en défense du droit de propriété », et conclu que « pour la cohérence d’ensemble du régime juridictionnel de ce type d’action », le Conseil devait admettre « qu’il s’agit d’un contentieux de pleine juridiction », et « préciser que le juge peut être saisi directement de conclusions tendant à ce qu’il ordonne la démolition d’un ouvrage public » et non plus de l’annulation.
 
Suivant ses conclusions, la Haute juridiction déclare : « il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue » :
  • « si l’ouvrage est irrégulièrement implanté » ;
  • « puis, si tel est le cas, de rechercher, d’abord, si eu égard notamment à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible » ;
  • « puis dans la négative, de prendre en considération » :
    • « d’une part les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraine pour les divers intérêts publics ou privés en présence » ,
    • « d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général » ;
  • « et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général ».
Suivant les règles édictées, la Haute cour, après avoir relevé l’irrégularité, recherche si une régularisation est possible. Sur ce point, elle note que l’accord n’a été donné qu’en raison du caractère provisoire de l’ouvrage, et déclare « eu égard à l’atteinte qu’ils portent au caractère et à l’intérêt des monuments historiques et du site sur dans lequel ils sont implantés, un permis de construire ne saurait être délivré en vue de l’édification de tels bâtiments sans méconnaitre les dispositions du règlement du plan local d’urbanisme de la ville de Paris », et conclut à l’impossibilité de régulariser.
 
Mise en balance des intérêts
 
Le Conseil doit donc rechercher « les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraine pour les divers intérêts publics ou privés en présence ». Sur ce point, il note « que le maintien de ces bâtiments préfabriqués en acier et en verre installés entre le palais des études et le jardin de l’hôtel de Chimay de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, classée au titre des monuments historiques, porte une atteinte substantielle à l’intérêt et au caractère de leur site d’implantation et de leur environnement proche et présente ainsi un inconvénient majeur pour l’intérêt public qui s’attache à la préservation du patrimoine ».
 
Le Conseil avait noté que « les ouvrages litigieux sont visibles depuis le fonds [du requérant] et créent des vues sur ces fonds, de sorte que leur maintien affecte les conditions de jouissance par le requérant de son bien ». Toutefois, c’est sans faire mention des intérêts du requérant, que le Conseil d’État fonde son argumentation sur des considérations esthétiques et de patrimoine, relevant donc de l’intérêt public.
 
Dernière étape pour la Haute cour, après avoir recherché les inconvénients de la présence de l’ouvrage, il s’agit de déterminer les inconvénients à démolir l’ouvrage public. Ce sont en effet ces nombreux inconvénients qui avaient justifié l’adage « ouvrage public mal planté ne se détruit pas », résultant de la jurisprudence Robin de la Grimaudière (CE, 7 juill. 1853), à savoir l’utilité publique de l’ouvrage, ou la protection des finances publiques.
 
La Haute cour indique « il ne résulte pas de l’instruction (…) que la continuité du service public de l’enseignement supérieur rendrait indispensable le maintien de ces ouvrages », et ajoute : « il n’est pas établi que, plus de dix-huit ans après l’installation des bâtiments provisoires, les travaux qui les avaient justifiés n’auraient pas pu être menés à bien ».
 
À la suite de cette mise en balance, la Haute cour conclut que « la démolition des ouvrages litigieux ne saurait être regardée comme entraînant une atteinte excessive à l’intérêt général ».
 
Avant cette nouvelle décision, le célèbre adage « ouvrage public mal planté ne se détruit pas » avait été remis en cause par la Haute cour à travers deux grands arrêts :
  • dans sa décision de section Époux Denard et Martin (CE, 19 avr. 1991, n° 78275), le Conseil avait déclaré que l’administration n’était pas tenue de rejeter une demande tendant à la destruction d’un ouvrage public, et que le juge, saisi dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir devait exercer un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation ;
  • dans son arrêt de section Syndicat départemental de l’électricité et du gaz des Alpes Maritimes (CE, sect., 29 janv. 2003, n° 245239), il avait permis au juge d’ordonner la démolition d’un ouvrage, après avoir recherché si la régularisation était possible et si la démolition n’entrainerait pas une atteinte excessive à l’intérêt général.
Pour en savoir plus sur le principe d’intangibilité de l’ouvrage public, v. Le Lamy Droit public des affaires n° 3243 et s.
Source : Actualités du droit